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BRM600 Andrésy (8 et 9 juin 2019)
Concerto en selle (bé)molle pour quintette à chaine.


Acte 1

Il y a des jours où il vaudrait mieux rester au lit
Pourtant, tout avait bien commencé ! Lever à 3h45, départ en voiture pour Andrésy à 4h45 avec Jean-Louis en co-pilote, arrivée sur place vers 5h30, frais et dispo pour l'envolée à 6h00. Ciel partiellement dégagé, un vent à décorner les bœufs… mais pour une fois favorable (de dos ou ¾ arrière)… c'est d'ailleurs ce qui nous avait incités, Kaptain, le tandem gresseyais et moi, à opter pour Andrésy plutôt que le BRM600 de Montigny initialement prévu, histoire de se mettre dans le bain des parcours vers l'ouest. Seul Patrick était resté sur cette idée, mais une alerte météo reçue sur son portable à 2h du matin lui fit changer d'avis in extremis. Il était donc sur la ligne de départ avec nous à Andrésy. Vous le verrez plus loin, cela aura son importance….

Nous voilà donc partis, direction nord-est, objectif "mur de Grammont" en Belgique. Chantilly, puis une quasi ligne droite entre Compiègne, Saint-Quentin et Maubeuge, par des petites routes ombragées ou chemins de halage fort sympathiques et roulants...

…pour finalement rentrer en Belgique par la face sud (la plus wallonne).

Seule une crevaison en tapant la roue dans un trou (y'en a beaucoup dans le Nord…) nous ralentira. Rien de méchant, mais déjà, et je ne le comprendrai que plus tard, le premier volet d'une "journée de merde."

Contrairement à l'une des scènes mythiques de Bienvenue chez les Ch'tis, le ciel n'attendra pas le panneau "Belgique" pour nous tomber sur la tête. Trois ou quatre averses, rien de bien méchant, juste assez pour bâcher/débâcher et emporter sous nos fringues un peu d'humidité picarde.

Arrivés au village de Grammont (Flandre orientale, Geraardsbergen en langage local), on tombe nez-à-nez avec un panneau "Muur". En français… pareil ! Des pavés bien rejointoyés, espacés de segments d'un goudron parfaitement lisse, une pente entre 10 et 14%... je me dis que finalement, c'est très surfait le Muur. Oui, sauf que le Muur… c'est pas ça, c'est après !! Tu rentres dans une minuscule ruelle tracée dans la verdure, fermée aux voitures, avec des vrais pavés du nord, irréguliers, et là, la pente se verticalise. Dans le dernier segment, sans doute le plus pentu, le cyclo devant moi perd l'équilibre et tombe. Obligé de m'arrêter. Je finis donc à pied (vu ma vitesse ascensionnelle, ça ne changeait pas grand-chose). C'est de toute façon mieux pour économiser les genoux, il reste 300 bornes à faire…

A l'auberge servant de chapeau au Muur, repas de mi-parcours bien mérité : pâtes bolo, soupe tomate, omelette, coca, eau pétillante (de la Chaudfontaine, toute ma jeunesse), café ou thé. On lie conversation à deux braves dames en sortie amicales elles aussi, que l'on mettra un certain temps à convaincre que l'on venait de Paris et qu'on y retournait direct, sans dormir. Faut dire… quand on y pense… faut être une peu barjot….

Acte 2

Grammont étant le point culminant de notre rando tant en altitude qu'en latitude, on repart donc dans l'autre sens. Oops, y'a du vent quand même… il durera une cinquantaine de km avant de s'estomper dans les vapeurs nocturnes. Tournai, km 362, dernier contrôle avant la nuit. On s'en extrait par la ville haute, après avoir traversé le piétonnier. Et c'est là que mon sort a… tournai !
Devant moi s'érige une petite montée faite de pavés me rappelant le Muur. Je décide donc, comme un réflex, de monter sur le trottoir dont les pavés plats avaient manifestement été posés pour choyer les piétons. Jean-Louis, qui me suivait, me dit "ça ne suit pas derrière". Faut dire qu'emmener le tandem dans ces ruelles escarpées, c'est aussi facile que d'emmener un 40 tonnes chez Daniel par le centre-ville. Je m'arrête donc. Sur ces entre-faits, une famille emprunte le trottoir, que je me résigne à quitter pour éviter le strike. En descendant du trottoir, ma roue se bloque instantanément dans la petite rigole, elle aussi tout en pavé, dont je n'avais pas vu la différence de niveau avec le reste de la route. Je tombe net. Sur la droite. Je me relève, le coude un peu endolori, mais rien de grave (comme dirait Gégé). Au moment de reprendre mon vélo, je constate que ma roue arrière ne tourne plus. Tu parles : patte pliée, chape (longue) bloquée dans un rayon. Impossible à retirer. On profite de l'entrée d'une banque à l'éclairage temporisé pour estimer les dégâts.

Je ne vous cache pas que je me voyais dormir à Tournai et rentrer en train. Patrick, dont j'ignorais la dextérité mécanique aussi poussée que celle du pédalage, nous dit : "il faut dévisser la roulette pour sortir la chape". Kaptain sort sa boîte à outil (pas celle de Hollande, une vraie), et les voilà partis pour désosser mon vélo. Moi je regardais… quand j'sais pas faire, je ne force pas la nature. La chape une fois désolidarisée du rayon, il tire sur l'ensemble du dérailleur pour redresser la patte. Chacun prie pour qu'elle ne casse pas, sinon c'est nuit à l'hôtel assurée. Ouf ça tient. Pour l'instant…. Il remonte la chape, mais ça ne tourne pas rond. La roulette supérieure a douillé elle aussi. Il re-démonte le tout, et constate que la vis de la seconde roulette est de traviole, sans doute parce forcée elle aussi lors de la chute. Et là, dans un calme olympien, voilà-t-il pas qu'il nous sort : "il faut rectifier le pas vis". Kaptain, sors la fraiseuse ! Là j'me dis que cette fois c'est bon, faut que je trouve un hôtel. Que nenni. Patrick attrape la petite vis, et de mouvements de vissage en dévissage, quart de tour par quart de tour, il rectifie le pas de vis. Je voyais le centre de ma roulette vomir les bouts de métal l'un après l'autre... impressionnant.
Au bout d'une heure, tout est remonté, et il ne reste rien par terre (je dis ça car moi, dans ce genre de manœuvre, j'ai toujours des pièces en trop à la fin). On teste… la patte n'est pas totalement redressée donc quand la chaine est sur le grand pignon, la chape frotte sur les rayons. On dissuade Patrick d'essayer de forcer encore… le spectre de la chambre d'hôtel à trouver à au milieu de la nuit…. donc instruction m'est donnée de ne pas passer le pignon de détresse jusqu'à Paris, au risque de tout péter. Capito, mon général !! Je ne suis pas une lumière en mécanique, mais encore assez lucide pour installer une loupiote de secours sous ma selle histoire d'éclairer ma cassette en roulage nocturne et éviter le changement de vitesse malheureux. Ce sera mon obsession jusqu'à Andrésy, à en oublier les kilomètres restant. Minuit passé, on repart dans la nuit noire.

Acte 3

Une vingtaine de km plus loin, alors que la route… tournai(t), j'entends un grand claquement, sourd. Et instantanément je sens ma selle qui se dérobe. "T'as perdu une vis ?" me dit le chef-mécano. Je regarde, non, les deux sont là. Ouf. Enfin, ouf… façon de parler, car c'est pire : le collier de serrage est fendu. "Là on ne peut rien faire" me dit Patrick. "C'est pas trop gênant" rajoute-t-il.

Certes, heureusement que j'ai un tube de selle intégré au cadre, donc la hauteur de selle est presque bonne (je l'avais relevée de 0,5 cm suite à l'étude posturale). Je peux encore m'asseoir, mais faire les 220 km restant avec une selle qui danse le sirtaki sous mes bijoux de famille, disons que j'ai déjà connu plus confortable. Mais quand t'approche de 400 bornes et qu'il n'en reste plus "que" un peu plus de 200, ta tête relativise. Pas le choix, on fera avec. Et on reprend la route, avec mon chapelet d'emmerdes.
A chaque fois que je me mets en danseuse, ma selle se promène entre 9h50 et 10h10… et ma tête réfléchit. Demain - … enfin tout à l'heure (il est vers 1h00 du matin) - dès que je vois une boutique de pompe à essence ouverte, j'y achète un truc qui colle genre gros scotch bien solide pour limiter "danse avec les stars" (je parle de mes bijoux de famille, qui ont quand même enfanté trois perles rares). Vers 1h30 ou 2h, je ne sais plus, dans un bled dont je ne sais plus le nom, on passe devant un petit commerce d'alimentation générale, encore ouvert (un "petit arabe", forcément à cette heure-là les français et les belges ont fermé boutique depuis longtemps !). Je fais un U-turn immédiat, sans laisser le choix à mes compagnons de route, qui en profitent pour faire une halte ravito. "Bonjour, j'ai un problème avec ma selle, vous n'auriez pas truc du genre gros scotch gris bien solide SVP ?" Si si, je vais chercher cela tout de suite. Et on s'y met à trois pour solidariser le chariot de selle sur le tube du cadre, une bonne vingtaine de tour. Au moins elle ne s'envolera pas.

On repart. A chaque fois que je me mets en danseuse (ne fut-ce que pour soulager l'arrière-train), je me repose délicatement sur ma selle pour qu'elle se positionne aussi naturellement que possible sous mon fessier de bucheron. Il reste 200 km à gérer….

Acte 4

Un peu plus loin, alors que je roulais un peu devant, je me retourne, plus personne. Je m'arrête, j'attends. Je vois arriver des phares, ce doit être eux. Raté, deux cyclos que l'on avait vus à Grammont. Je téléphone à Kaptain, à Patrick, à Valérie. Pas de réponse. J'envoie SMS et Whatsapp. Pas de réponse. Je fais demi-tour, je reviens sur quelques centaines de mètres, toujours personne. Je commence à me dire que la loi des séries a décidé de jouer avec me nerfs. Puis Jean-Louis m'appelle : "Valérie s'endormait à l'arrière du tandem, on s'est arrêtés, ils pioncent tous sous un abribus". Je remonte donc plus loin encore, pour enfin les trouver. Alors que je m'apprêtais à ouvrir ma cannette de coca achetée à Tournai, tout le monde se relève d'un coup et enfourche son vélo. Le coca, attendra. Jusqu'au début du jour, Valérie oscillera entre somnolence, bâillements et arrêts forcés pour dormir un peu. Chacun ses merdes…. mais les solutions sont collégiales !!

Acte 5

Le jour se lève peu avant 6 heures. L'allure est sereine, comme sur une fin de 600. Alors que la moyenne correcte jusque-là (27 en haut de Grammont, 26 en fin de nuit) nous aurait permis d'arriver à temps pour la messe de 10h à Andrésy, les multiples ennuis et arrêts nocturnes ont rectifié le tir. On vise maintenant midi pour mettre pied à terre. C'était sans compter la suite. Comme disait Chirac, "les emmerdes ça vol en escadrille".
Les fins de parcours des BRM d'Andrésy sont traditionnellement ardues (voir récits des BRM200 et BRM300). En effet, à une soixantaine de kilomètres de l'arrivée, la route commence à s'élever. Comme d'habitude Kaptain prend la tête en danseuse sur son 50 x 17, je le suis pas trop loin sur un développement plus adapté à ma génuflexion capricieuse, et le tandem suit derrière avec coach-Patrick qui fait la conversation pour maintenir éveillés les neurones comateux de Valérie. Cela fait près de 220 km que je ne pense qu'à oublier que mon grand pignon existe. Mais la pente m'impose de remonter sur la cassette. Je la regarde, il me reste deux pignons, dont le pestiféré. Donc c'est bon. Mon cerveau droit me commande de m'arrêter pour bien vérifier, mais le gauche le persuade que c'est bon, il en reste bien deux. Je remonte donc la chaine d'un pignon avec confiance

Et là, patatras! Il n'est restait qu'un… Instantanément, la chape se fait tutoyer par les rayons de la roue en mouvement, et je vois mon dérailleur passer à hauteur de mon épaule et me doubler (certes je n'allais pas vite) dans un mouvement elliptique. Arrêt instantané évidemment, chaine pendouillant dans le vide ! "Mais quel con" crierai-je à forts décibels. Faut dire que j'ai tenu quasi 12 heures sans passer ce fichu pignon, et là, à cause de la fatigue ou des verres vieillissants de mes lunettes de sport (ou les deux mon capitaine), je fais le truc à ne pas faire. De rage, j'envoie mon dérailleur (avec le bout de patte arrachée) dans le pré d'à côté (Jean-Louis ira le recherche). Mais quel con !!

Patrick sort son dérive-chaîne, et me dit calmement : "c'est pas grave, on va raccourcir la chaîne, et tu rouleras sur le même pignon jusqu'à l'arrivée. Vu le profil, on va mettre le petit plateau (un 34) et un pignon intermédiaire".

"Attention, ne passe pas le grand plateau, la chaine est forcément trop courte… tu ferais tout péter" me dit-il !! C'est vrai qu'après avoir démontré toutes mes capacités à faire le changement de vitesse interdit, autant être prévoyant… c'est le genre de réflex qu'on peut avoir sans y réfléchir une fois que la route s'aplanit (et avec un Di2 c'est vite fait). J'installe donc mon gant de nuit sur la poignée de frein avant, histoire de calmer toute ardeur d'entamer le "concerto pour la main gauche" (de gRavel, bien sur).

C'est vrai que le 34 x 18, en côte, après 550 km, c'est juste ce qu'il faut. En descente... ben j'me laisse descendre. Mais à plat… je mouline comme un dingue (moi qui ai horreur de ça) et je plafonne à du 19 km/h. Il reste 50 bornes…. Je mouline tellement qu'à un moment, avec les trépidations engendrées par l'asphalte irrégulière, ma chaine saute sur le pignon d'à côté… plus grand… du coup, chaine trop courte… blocage instantané. Je me dis "Attention le belge, là c'est ta dernière cartouche, si tu casse la chaine, tu rentres à pied !". 50 bornes, ça fait loin, à pied, avec un vélo sur le dos, et une clavicule en RTT (Restera Toujours de Traviole). Je moulinerai donc sagement jusqu'à Andrésy. Et l'objectif retour de passer de midi à 14 heures… au mieux. Merci le belge. J'en ai presque oublié ma selle qui me masse pourtant les fesses depuis plus de 12 heures. Faut savoir hiérarchiser les emmerdes….
En haut de la dernière côte, mes compagnons de route improvisent une halte ravito. Moi, je continue… faut dire qu'à du 19 km/h c'est pas l'hypoglycémie qui me guette, mais plutôt le ras-le-bol aigu de cette sortie calamiteuse et interminable (voire minable tout court). Heureusement, Stéphane Le Lostec m'avait prêté son relais batterie pour alimenter le GPS en même temps que le phare avec la roue dynamo (prêtée par Kaptain), donc j'aurai fait tout le 600 avec un Garmin 100%. Suffisamment rare pour être signalé. Aucun risque donc de me perdre et de rallonger encore cette fin de parcours où chaque kilomètre me parait une éternité. Le groupe ma rattrapera à une dizaine de kilomètres du but. Patrick me tend un bout de cake, histoire de me remonter le moral. Ah si j'avais pas passé ce fichu pignon, on aurait enfilé ces derniers kilomètres sur le 50 x 15 et on serait arrivés depuis longtemps.
Vers 14h, après 24h14 de roulage (un petit 25 de moyenne), mais 32 heures au total (dont deux au moins de réparation mécanique), nous voilà enfin à Andrésy. Je suis parti hier matin avec un Time Fluidity Di2, et je reviens aujourd'hui avec b-Twin pignon fixe….

Un cyclo du club local, qui avait fait ce 600 "à domicile" et nous avait vus en train de réparer sur le bord de la route, me lance : "je pensais que vous auriez abandonné". Abandonner, au km 540 ? Après tout ce que l'équipe a fait pour moi ? Non, impossible. Il fallait arriver, coûte que coûte…

Epilogue

Le vélo est un sport individuel qui se pratique en équipe. Surtout à l'UVO. Bien qu'au vu des conditions de pédalage, ce brevet fut assez difficile nerveusement, cette sortie aura mis en exergue un esprit de solidarité dont je ne soupçonnais pas l'envergure. Certes, je savais le groupe PBP solidaire, mais j'ignorais jusqu'à quel point cette solidarité pouvait se manifester lorsque l'adversité s'acharne. Seul, j'aurais logé à Tournai, et aurais dû remettre ce BRM600 à plus tard. Si je suis arrivé au bout, c'est bien plus à mes camarades que je le dois qu'à mes jambes. Pourtant, personne dans le groupe ne m'a jamais fait ressentir la moindre pointe d'impatience ou de reproche face à mes ennuis mécaniques – certes, ça arrive - et plus encore ma connerie monumentale du bouquet final. Au contraire, chacun aura mis ses compétences techniques et morales au service du groupe, et au mien en particulier, pour que cette aventure collective arrive à son terme, "tous ensemble", malgré l'adversité tenace. Un vrai test, grandeur nature. Merci à Patrick, Jean-Louis, Valérie et Stéphane. Grâce à vous, les 5 UVO sont désormais qualifiés pour le PBP 2019. Maintenant… yapluka…..

••• Vincent